Enlèvement d'Olivier Dubois : « Quand tout ceci sera fini, il ira se ressourcer aux Antilles »

Enlèvement d'Olivier Dubois : « Quand tout ceci sera fini, il ira se ressourcer aux Antilles »

Jean-Michel Hauteville

Déborah Al Hawi, compagne d’Olivier Dubois, journaliste martiniquais enlevé au Mali, a accepté de témoigner dans nos colonnes. Elle se dit « très touchée par la mobilisation pour Olivier au Mali, en France, en Martinique et en Guadeloupe ». Coûte que coûte, elle veut rester optimiste et s'efforce de rendre l'absence d'Olivier la moins angoissante possible pour leurs deux enfants.

Quand Olivier Dubois est arrivé à Gao, le 8 avril, pour effectuer un reportage dans cette zone à hauts risques du nord-est du Mali, il n’a pas donné signe de vie à sa conjointe, restée chez eux, à Bamako. Mais celle-ci ne s’est pas inquiétée tout de suite. « Il m’a habituée à sa méthode de travail et il m’avait prévenue qu’il ne serait pas joignable pendant deux jours », confie Déborah Al Hawi Al Masri.

« Quand il part comme ça, il me laisse toujours un document avec la marche à suivre en cas de problème. Là, je devais prévenir les autorités s’il n’était pas dans l’avion qui devait le ramener de Gao à Bamako le 10 avril ». Deux jours après la disparition de son compagnon, Mme Al Hawi a donc discrètement alerté l’ambassade de France. 

Ce journaliste chevronné de 46 ans, né à Créteil de parents martiniquais, travaille comme correspondant au Mali pour plusieurs publications françaises, parmi lesquelles le quotidien Libération ainsi que les magazines hebdomadaires Jeune Afrique et Le Point, et a également collaboré avec des médias locaux comme Le Journal du Mali.
A l’initiative de Déborah Al Hawi, qui avait de nombreux contacts professionnels en Afrique et était tombée amoureuse du continent, le couple décide de quitter la région parisienne pour s’installer à Bamako en 2015. En quelques années, Olivier Dubois se construit une solide réputation dans ce vaste pays d’Afrique de l’ouest. « Il ne connaissait rien à ce pays. Pourtant, il est devenu en très peu de temps un journaliste reconnu au Mali. C’est admirable », s’émeut, avec fierté, la mère de ses deux
enfants. 

Mais depuis plusieurs années, toute la région du Sahel est en proie à une recrudescence d’actes violents commis par des groupes affiliés à la mouvance jihadiste internationale. C’est notamment le cas au Niger, pays limitrophe du Mali, où l’ingénieur martiniquais Thierry Dol avait passé 1139 jours en captivité, entre 2010 et 2013, aux mains du groupe Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Au Mali, la situation sécuritaire est particulièrement précaire.
Sur le site du consulat général de France à Bamako, une carte, bien en évidence, annonce la couleur. En orange, la zone la plus sûre du pays se réduit à une étroite bande méridionale qui inclut la capitale : dans cette région, tout déplacement est « déconseillé sauf raison impérative » par le Quai d’Orsay. Tout le reste du pays, dont le secteur de Gao, est en rouge (« formellement déconseillé »). Mais, conscience professionnelle oblige, Olivier Dubois n’est pas du genre à se laisser décourager par les dangers inhérents à chaque déplacement dans son pays d’adoption. « Il y a des gens qui s’interrogent sur les raisons de ce voyage. Mais Olivier est un journaliste de terrain. Il est parti à Gao pour parler avec des acteurs locaux, pour qu’on sache ce qui s’y passe. On ne peut pas écrire sur l’actualité du Mali sans quitter le confort de son chez-soi », insiste Déborah Al Hawi. 

D’autant que, même avant de devenir journaliste dans la vallée du fleuve Niger, Olivier Dubois avait déjà la bougeotte. « C’est quelqu’un qui adore voyager, il est passionné de découvertes. Vers 2009-2010, il a pris son sac à dos et il est parti le long de la route de la soie. Pendant dix mois, il a sillonné le Yémen, la Syrie, la Turquie, l’Ouzbékistan… », se remémore sa compagne.

Une « bullede silence »

Incorrigible globe-trotter, Olivier Dubois a aussi suivi une formation en journalisme au Canada, visité le Maghreb, mais aussi séjourné à Taïwan pour se perfectionner au ba gua zhang, auprès d’un maître de cet art martial chinois dont il est féru. « Il a fait des voyages avec les enfants, et il adore leur raconter ce qu’il a vu, partager ses expériences avec eux. C’est d’ailleurs ce qui fait de lui un excellent journaliste : il aime transmettre ». 

Selon le journal Libération, Olivier Dubois avait prévu d’interviewer, à Gao, un cadre du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), une nébuleuse de factions islamistes armées. C’est le même groupe qui avait retenu la travailleuse humanitaire française Sophie Pétronin en otage entre 2016 et 2020. Dans un article publié le mois dernier, Libération rapportait avoir refusé fin marsla proposition d’interview que lui avait envoyée son correspondant au Mali, jugeant cette rencontre trop risquée. Néanmoins, malgré le refus de sa rédaction, le journaliste free-lance avait tout de même tenu à se rendre à cet entretien. Il n’en est pas revenu. Durant plusieurs semaines, la rumeur d’un enlèvement enfle, à Bamako comme dans les rédactions parisiennes.
Le 5 mai, alors que le monde est sans nouvelles
d’Olivier Dubois depuis un mois, le GSIM diffuse une courte vidéo. On y voit le journaliste faire une déclaration laconique d’une vingtaine de secondes : « J’ai été kidnappé à Gao le 8 avril 2021 par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Je m’adresse à ma famille, à mes amis et aux autorités françaises pour qu’elles fassent tout ce qui est en leur pouvoir pour me faire libérer ». 

Avec la diffusion de cette vidéo, la disparition du reporter est enfin médiatisée. « Il y a eu une bulle de silence pendant un mois, mais ça n’a pas été imposé par l’État ou par qui que ce soit : c’était un gage de solidarité de la part des journalistes. Tout le monde savait qu’il avait disparu, mais personne n’en a parlé pour protéger Olivier, et je remercie ses confrères », confie Déborah Al Hawi Al Masri. 

 « Il nous manque énormément »

Cela fait maintenant deux mois qu’Olivier Dubois n’est pas rentré chez lui, et un mois que sa conjointe et leurs deux enfants sont sans nouvelles. « Ma vie defamille a changé radicalement. Il nous manque énormément ; on pense à lui tout le temps. Mon énergie ne revient que quand je parle d’Olivier », s’épanche Déborah Al Hawi. Soucieuse toutefois de préserver l’équilibre psychologique de leur fille de treize ans et de leur garçon de cinq ans pendant cette épreuve, elle s’efforce de rendre l’absence prolongée de leur père la moins angoissante possible. « La joie ne doit pas quitter la maison : c’est très important pour que les enfants se construisent », souligne la quadragénaire. « On a mis en place un journal de bord de l’absence d’Olivier, on lui parle. J’ai expliqué à mon fils que c’est comme dans un film de super-héros et qu’on attend que papa soit libéré ». 
Mardi matin, une centaine de personnes se sont rassemblées à la Maison de la presse de Bamako pour marquer les deux mois jour pour jour de captivité d’Olivier Dubois et réclamer
sa libération. Sur une estrade ornée d’une photo du journaliste, ainsi que d'une grande pancarte noire sur laquelle était écrit « #FreeOlivierDubois », Déborah Al Hawi Al Masri, émue, a prisla parole. Au même moment, à Paris, une foule comparable s’était réunie pour rendre hommage au captif. « La mobilisation de Reporters sans frontières, de tout le monde, est extrêmement belle. Ça m’a touchée car ça montre qu’Olivier est quelqu’un qui est très aimé et apprécié », s’émeut sa compagne. « J’ai montré à mon fils et à ma fille des photos de la mobilisation. Olivier est très fier de ses enfants, vous savez ». 

Alors que l’attente de nouvelles de son conjoint s’éternise, Mme Al Hawi est également en contact avec la famille martiniquaise de celui-ci. « Nous souffrons en tant que famille, mais il y a aussi une grande souffrance dans la famille d’Olivier, en Martinique et en France ». Son père, André Georges Dubois, et son frère, Nicolas Dubois, ont d’ailleurs tenu à indiquer à notre rédaction qu’ils pensent bien à lui et le soutiennent, et toute la famille fait de même.

« Olivier est très attaché à la Martinique »

« Olivier est très attaché à la Martinique. Un des prochains voyages qu’on avait prévus, justement, c’était d’aller en Martinique et en Guadeloupe », souffle sa conjointe.

« Olivier a toujours voulu transmettre son attachement aux Antilles à ses enfants, par la gastronomie, la culture, la lecture… Pour lui, c’est très important que ses enfants puissent connaître la culture antillaise », poursuit-elle. « Quand tout ceci sera fini, quand il reviendra, je suis certaine qu’une des premières choses qu’il fera, ce sera d’aller se ressourcer aux Antilles ». 

Bien qu’il ait grandi en région parisienne puis dans le sud de la France, et non pas en Martinique, Olivier Dubois a un point commun avec beaucoup d’Antillais : il apprécie la gastronomie de sa région d’origine, et aime par-dessus tout la faire découvrir. « Olivier est un grand cuisinier et un grand gastronome. Il aime la vie, il aime la nourriture, et il aime cuisiner pour les gens qu’il aime. Et partout dans le monde il fait toujours le même plat, un plat qu’il qualifie d’universel, et qu’il aime cuisiner avec ses enfants : le poulet sauce chien », révèle Déborah Al Hawi. « Il en a fait en Asie, en Syrie, à chaque fois qu’il était reçu quelque part par une famille, il leur préparait un poulet sauce chien pour les remercier. Ça montre à quel point ses origines, il est en fier et elles lui collent à la peau », poursuit-elle, la voix nouée par l’émotion. 

Malgré sa détresse, Madame Al Hawi s’efforce de garder un mental positif. Son employeur – une société bamakoise de logistique – lui a permis de « prendre tout le temps pour m’occuper d’Olivier, de sa libération, et des enfants », tout en la soutenant financièrement. Mais après deux mois sans travailler, elle aspire à reprendre progressivement son activité et à retrouver un quotidien plus normal. 

« Il va revenir, je n'ai pas de doute »

« Il faut penser à Olivier, il ne faut pas qu’on l’oublie. Mais, le connaissant, je sais qu’il ne souhaite pas qu’on prenne ça tropau tragique », suggère-t-elle.  « Parfois, j’ai une angoisse, mais quand ça m’arrive, j’imagine Olivier qui fait ses figures de ba gua dans le désert, et je suis persuadée que ça l’apaise ».  

Pour Olivier Dubois, sa famille martiniquaise, ses enfants et sa compagne, le calvaire de l’attente perdure donc, sans que personne ne sache pour combien de temps. La conjointe du journaliste avoue redouter l’éventualité d’une opération militaire pour le libérer, en raison des risques pour la sécurité de l’otage. Mais coûte que coûte, elle veut rester optimiste. « J’attends son retour. Il va revenir, je n’ai pas de doute. En attendant, on doit endurer tout ça », dit Déborah Al Hawi Al Masri avec conviction. « La France a un rôle à jouer, le Mali a un rôle à jouer, mais la Martinique aussi peut jouer un beau rôle, qui est de raconter Olivier ». 


Olivier Dubois
Olivier Dubois • Photo DR
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