Le second projet d'Anse Chaton dévoilé, l'affaire pourrait se poursuivre devant la justice
Economie

Le second projet d'Anse Chaton dévoilé, l'affaire pourrait se poursuivre devant la justice

Gérôme GUITTEAU ; g.guitteau@agmedias.fr
Projet Kaz Anse Chaton
Une esquisse de l'habitation du 58 avenue Pasteur imaginée par Joseph Tien-Liong pour son projet Kaz anse Châton. • DR

L'affaire de la bâtisse de l'Anse Chaton connaît un énième rebondissement avec le dévoilement du projet de Joseph Tien-Liong qui a été le concurrent malheureux de l'Appel à manifestation d’intérêt (AMI) de la Collectivité territoriale. Alain Eoche envisage de son côté des recours judiciaires.

Trente emplois, 115 couverts sur trois niveaux, 650 000 euros de travaux, un restaurant/bar ouvert de 7h30 à 2 heures du matin, un projet présenté sur 38 pages. Cela n'a pas été suffisant face au neuf pages dont quatre de photos et deux de devis du projet de restaurant “Chéri” d'Alain Eoche.
Les documents ont été révélés par notre confrère Guyaweb, ce matin. Les grincements de dents récurrents depuis la sortie sur les réseaux sociaux de Muriel Briquet, conseillère territoriale dans les rangs, encore de la majorité, en fin d'année, ne vont pas s'arrêter après la comparaison des deux projets. Le scandale dénoncé par l'ancienne polytechnicienne continue de produire des conséquences de plus en plus irréversible.

Une réhabilitation à 650 000 contre 139 652 euros

Les travaux de réhabilitation de l'ancienne demeure du directeur de la direction départementale de l'équipement (DDE) orchestrés, sans autorisation mais avec des courriers d'”attribution de la parcelle” de la CTG, par le restaurateur Alain Eoche sont spectaculaires et se montent à 139 652 euros d'après le devis qu'il a fourni au jury de l' AMI, et non 170 000 euros comme indiqué à France-Guyane. Ils ont permis de rendre visible cette demeure abandonnée aux squatteurs et au délabrement du temps.

Projet restaurant Chéri
La première page du dossier livré au jury de la CTG pour décider de l'appel à manifestation d'intérêts par l'EURL Araf, porteur du restaurant Chéri. • DR

Mais que dire du projet de Joseph Tien-Liong estimé à 650 000 euros ? Grande terrasse surplombée, aire de jeux pour les enfants, un bar, un restaurant, un espace d'exposition et de création... Il n'est pas dit que cette esquisse aurait été acceptée par l'autorité des bâtiments de France mais elle en impose... virtuellement.
Le jury, composé de seulement trois élus sans aucun de l'opposition : Chester Léonce, vice-président à l'aménagement du territoire, Sherly Alcin, déléguée à l'éducation à l'environnement et Christian Noko, délégué aux arts vivants, mentionne que le projet “Chéri” est un “dossier simple” alors que celui de la Kaz anse chaton de Joseph Tien-Liong reçoit la mention “élaborée”. Pourtant, le jury attribue l'AMI au premier.

 

La commission permanente ou le courrier?

Une décision au cœur de ce scandale car c'est après celle-ci que le conseiller spécial du président, Olivier Taoumi enverra le courrier de félicitations informant Alain Eoche qu'il était lauréat de l'AMI. Ce dernier commencera les travaux certain de la viabilité de son projet en outrepassant la commission de l'urbanisme de Cayenne et l'architecte des bâtiments de France.
L'opposition territoriale est vent debout contre cette pratique qu'elle juge opaque : « [Le groupe Unis et engagés pour notre territoire] dénonce en particulier l’absence totale de légitimité du prétendu jury qui a départagé les deux seules candidatures reçues suite à la diffusion (confidentielle) de l’AMI, ce « jury » n’ayant pas eu mandat de l’Assemblée de Guyane pour ce faire ; [il] s’étonne par ailleurs de l’écart technique et qualitatif entre les deux dossiers ayant fait l’objet d’un arbitrage au sein de cette « commission », le meilleur et plus complet ayant étonnamment été écarté au profit de celui retenu. »
Finalement, la commission permanente, rendue publique exceptionnellement, rejette l'attribution de cet AMI, le vendredi 16 décembre, 16 voix contre 14 avec donc 6 votes de la majorité : Aïssatou Chambaud, Jean-Paul Fereira, le premier vice-président, Samantha Cyriaque, Karine Cresson-Ibris, Jessi Américain et Muriel Briquet. Le vote de Juliette Daniel, membre de l'opposition n'est pas retenu depuis sa condamnation en appel et la suspension de ses mandats électoraux.

Un imbroglio politique qui interpelle, agace, déçoit et... amuse la Guyane, surtout en période de pré-carnaval. L'affairer risque de devenir le tube de l'édition 2023 qui commence dimanche 7 janvier. Un premier son est diffusé sur internet. " La vidéo est très drôle. Je ne peux pas m'en offusquer. C'est l'esprit carnavalesque. C'est du très bon boulot. C'est décalé, exagéré. Certains amis me disent que c'est à mes dépens mais je sais comment va se finir cette affaire. Donc ça m'amuse vraiment", assure Alain Eoche.

 

Hocher la tête devant cette histoire rocambolesque et en rire peut servir un certain mécanisme de défense. Pour autant, plusieurs questions se posent concernant les conséquences d'un tel fiasco dont la principale victime pourrait être le contribuable.

Premièrement, est-ce qu'un nouvel AMI va être rédigé ? Pourquoi Joseph Tien-Liong est-il aussi discret sur ce dossier ? La CTG va-t-elle rembourser l'investissement de 139 652 euros de l'EURL Araf dans la réhabilitation de cette bâtisse malgré qu'il a été réalisé sans aucune autorisation ?
Ce dossier prend des proportions politiques immenses. Au regard de ce qui se dit depuis le début, je préfère rester en retrait”, déclare le porteur de projet qui a fait fortune dans l'informatique avant de se lancer récemment dans la restauration (snacking et kebab).
Troisième vice-président de la Chambre de commerce et d'industrie de Guyane (CCIG), l'entrepreneur est un proche de Carine Sinaï-Bossou, ancienne remplaçante du député Serville. Plusieurs personnes affirment qu'une amitié s'est nouée entre Olivier Taoumi et Joseph Tien-Liong lorsque l'avocat occupait les fonctions de directeur général des services de la CCIG.
Une amitié réfutée de son côté par Alain Eoche :“J'ai invité une fois M. Taoumi. Il était un client régulier de mon restaurant mais il n'appartient pas à mon cercle d'ami. En revanche, on se connaît bien. Tout comme je connais Joseph Tien-Liong, je mange souvent dans la saladerie de sa femme à Montjoly.

Des suites judiciaires attendues


Amis ou pas, silence ou règlement de compte à "Ok Whatsapp", le projet de restaurant avorté, pour le moment, devient aussi une histoire de gros sous qui devrait trouver un épilogue devant la justice.
Alain Eoche s’est dit prêt à aller jusque devant le tribunal administratif pour faire valoir ses droits mais préférerait « trouver un accord » avec la Collectivité afin d’éviter cette issue”, écrit Guyaweb concernant entre autre l'investissement.
Je n'ai jamais dit que j'étais prêt à aller devant le tribunal administratif et que j'avais l'intention de me faire rembourser mon investissement”, contredit Alain Eoche, joint dans l'après-midi. “Cela n'a jamais été prévu dans le contrat que j'ai avec la CTG. Je suis un monsieur de 63 ans, je ne vais pas investir près de 180 000 euros sans droit. Je ne suis pas un squatteur. On m'a remis les clefs, un courrier m'a permis d'ouvrir les compteurs électrique et eau”, ajoute le restaurateur. “Le président avait tout pouvoir pour signer le bail après la décision du jury. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait sur ce dossier seulement ? Cela sera à un tribunal de décider, je ne sais pas lequel pour le moment. J'ai des droits acquis sur cette demeure. Ce dont vous me parlez n'est pas prévu dans la décision de l'AMI ni dans les documents que la CTG m'a remis”, affirme l'ancien résident de Harlem à New-York city.
Le vote négatif à mon encontre de la Commission permanente n'est pas intéressant. Il ne rentre pas en ligne de compte. Il aurait été pertinent s'il était intervenu avant que la CTG me donne les garanties qui font de moi le locataire du 58, avenue Pasteur à Cayenne. S'il n 'y a pas d'accord à l’amiable, le tribunal ne pourra faire autrement que de rendre une décision qui ira en ma faveur avec des dommages et intérêts et le remboursement du manque à gagner depuis septembre. Date à laquelle j'avais prévu dans le dossier de l'AMI d'ouvrir. Tout cela sera au frais du contribuable”, lance Alain Eoche. Dans le dossier rendu au jury, aucune date d'ouverture n'est mentionnée.
France-Guyane publiera, sur son site, l'entrevue qu'Alain Eoche nous a accordée. Il revient étape par étape sur le déroulé de cette histoire qui est loin d'être terminée.
Gabriel Serville n'a toujours pas demandé au restaurateur de quitter les lieux “pesant chaque mot”, comme il l'a déclaré à Radio Peyi, hier matin, anticipant de futures procédures judiciaires.


Pendant ce temps, les food-trucks péruvien et colombien, un temps menacés par le futur restaurant, situés juste devant la demeure de la CTG, dont une lumière apparaît derrière une fenêtre le soir, continuent de multiplier les couverts en plastique à l'abri d'une mangrove qui devient jour après jour plus inexpugnable.

Guyaweb

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