Qu'attendre du scrutin du premier tour des législatives ?
Législatives 2022

Qu'attendre du scrutin du premier tour des législatives ?

Gérôme GUITTEAU ; g.guitteau@agmedias.fr
A l'école Léonço de Cayenne, on réfléchit jusqu'au dernier moment pour voter.
A l'école Léonço de Cayenne, on réfléchit jusqu'au dernier moment pour voter. • G. GUITTEAU

Une longue campagne se termine pour la majorité des candidats à la députation. Quels enseignements peut nous apporter le premier tour des élections législatives dont les résultats sont connus dès ce soir?

Rodolphe Alexandre et Gabriel Serville : la guerre froide des législatives
On a souvent évoqué les législatives comme le troisième tour des élections territoriales. Une expression rejetée par la plupart voire la quasi totalité des candidats.
 
Le vote uninominal évite à tous les prétendants de se présenter comme défenseur d'un bilan pour autant la question de la survie de Guyane Rassemblement (GR), machine à gagner les élections depuis 2010, sous le nom de Guyane73 avant, est en jeu.

Les opposants de longue date de l'ancien président de la CTG pensent que le parti de Rodolphe Alexandre, qui vient de connaître la défaite aux territoriales puis aux présidentielles en tant que soutien affirmé de Emmanuel Macron, est terminé.

GR avait fait le plein lors des municipales en 2020. Un vote où le clientélisme ou de manière plus politiquement correcte la proximité jouent beaucoup au contraire des législatives.

GR est parti divisé. Boris Chong-Sit a gagné la primaire largement devant Alix Madeleine. Ce dernier s'est quand même présenté.

Le premier cité, avocat de métier n'a, en revanche, jamais caché son aversion pour la politique du président de la République, Emmanuel Macron, au contraire de son parti. Cela lui vaut ainsi le soutien de Les Républicains et de Mouvement Guyane Renouveau de l'avocate Magali Robo, parti fondé avec Mikaël Mancée, ancienne figure du mouvement social de mars et avril 2017 et élu de l'opposition à Cayenne.

Sa principale concurrente, Joëlle Prévôt-Madère a elle aussi dû se dépatouiller du soutien du parti macroniste lors de sa candidature en 2017.

Les adversaires de Boris Chong-Sit ont voulu lui coller l'étiquette de « Chabin », surnom donné à Rodolphe Alexandre, sur le dos. Il a réussi à manœuvré assez intelligemment devant les médias mais il a froissé une partie des membres de GR.

Assez pour gripper la machine à voter de GR et rater le second tour ?

Il semble évident que Joëlle Prévôt-Madère ou Boris Chong-Sit sera présent-e au second tour. Ne pas y être en dirait long sur la nouvelle dynamique politique en Guyane.
Une élection qui pourrait rebattre les cartes de la majorité territoriale
A l'opposé, Peyi Guyane, parti fondé par Gabriel Serville en 2018 veut récupérer la place “du parti prépondérant.”

Pour ce faire, Gabriel Serville a envoyé au combat son plus fidèle lieutenant : Thibault Lechat-Vega, attaché parlementaire du premier pendant neuf ans.

Le président a fait le job pour son poulain. Il a fortement appuyé son soutien à son 3e vice-président en allant avec lui sur le terrain.

Gabriel Serville est persuadé que son réseau, qu'il tisse dans l'ombre depuis plus de vingt ans lui a donné la victoire en 2021.

Cette élection est une forme de test pour lui. Est-ce pour cela qu'il a laissé tous les partis de l'union des gauches de 2021 présenter un candidat ?
Sûrement. Une élection qui pourrait donc rebattre les cartes de la majorité territoriale.

Thibault Lechat-Vega a insisté sur la fin de sa campagne auprès des électeurs sur le fait que « la Guyane doit parler d'une seule voix ». La voix de Peyi Guyane.

La Guyane a besoin d'un électrochoc, il faut que chacun comprenne que de cette élection aussi, dépend tout les grands projets de la Guyane, y compris l'évolution statutaire. Nous devons peser électoralement. Peu importe pour qui vous allez glisser le bulletin dans l'urne, venez voter”, insistait encore ce matin Gabriel Serville dans nos colonnes.

Alors, GR est-il mort ? Peyi Guyane sera-t-il le prochain parti hégémonique ? Qui va tirer son épingle du jeu dans la majorité territoriale? Réponse dans quelques heures.
Suspense total dans la seconde circonscription
D'habitude la prime au sortant est rédhibitoire surtout quand la jeunesse peut excuser quelques erreurs comme l'absence de permanence du député pendant cinq ans. Là, le député sortant appartenait à la majorité présidentielle. Lénaïck Adam, seul député de la Guyane depuis presque un an, a su s'opposer à son groupe parlementaire mais il reste soutenu par Ensemble, le rassemblement des partis de la majorité présidentielle : Renaissance, Horizons, Modem.

Ses opposants se sont engoufrés dans la brèche pendant la campagne. Léanaïk Adam a d'ailleurs, intelligemment, refusé de débattre avec eux. Les adversaires du député ont été tous actifs dans une circonscription immense de 54 000 km2.

Jean-Philippe Dolor a multiplié les déplacements, Wender Karam a été très présent sur les réseaux sociaux et à Saint-Laurent. Christophe Pierre et Davy Rimane se sont mis en mouvement un peu tard mais une fois lancés, ils ont mouillé le maillot.

Quant à Manuel Jean-Baptiste, adjoint au maire de Saint-Laurent, il a le soutien de madame le Maire, Sophie Charles.
Cette dernière avait remporté haut la main les municipales en 2020. Cette majorité saint-laurentaise espère beaucoup de ce scrutin pour lancer son mouvement politique.

Davy Rimane a le soutien de La France Insoumise. il est de tous les combats sociaux depuis 2017. il a changé de stature en cinq ans. Cela sera-t-il assez pour l'emporter, alors que beaucoup dans la circonscription reproche au Kouroucien de ne pas venir assez de l'Ouest?

La radicalité de Christophe Yanuwana Pierre depuis 2017, sa bataille réussie contre La Montagne d'or, le charisme du jeune réalisateur plaît à Saint-Laurent et ailleurs dans la seconde circonscription, mais son réseau manque peut-être d'élements politiques pour motiver les gens à se déplacer.

La dernière question reste celle concernant le plus jeune candidat de Guyane, l'étudiant de 22 ans Gillermo Joje. Il s'agit d'un premier coup d'essai, pour une personne qui veut s'installer et durer dans le paysage politique guyanais. Il n'est clairement pas le favori de ce scrutin.

Une participation en hausse mais pas suffisamment ?
Vingt-sept candidats se sont mobilisés pour faire voter. Personne ne pourra dire qu'il ne se reconnaissait dans aucun candidat. Il y en a pour tous les goûts.

Une participation en hausse dans le bureau 1 de Cayenne. Madame le maire, Sandra Trochimara présidait le bureau pour l'occasion. • G. Guitteau

La campagne a été très longue pour certains, dès novembre pour Emmanuel Félissaint et Myrtha Cattier, décembre pour Rudy Stephenson, Wender Karam et bien d'autres.

Pourtant le taux de participation à midi avoisinait les 12,5% des inscrits soit seulement deux points de plus qu'en 2017. A 17 heures, il était de 22,84% contre 20,69% en 2017.

Je suis très surpris du faible taux de participation que je perçois dans les différents bureaux de vote. Avec le résultat des élections présidentielles nous nous attendions à autre chose”, déplore le président de la Collectivité territoriale de Guyane, Gabriel Serville , samedi matin.

Nestor Govidin, adjoint au maire de Cayenne, membre de Nouvelle force de Guyane envisage que “la barre des 5% va être difficile à atteindre pour tous les candidats.

Cela est mathématiquement impossible. Puisque la première circonscription possède dix-huit prétendants : 18 x 5 = 90.

Mais l'analyse de Nestor Govindin met en avant la dispersion du vote, dans un repli presque familial ou clanique. Autrement dit, les proches du candidat vont voter pour lui... et c'est tout.

“Je pensais qu'avec le nombre de candidatures en lice, chaque électeur y trouverait son compte. Mais je viens juste d'entendre le contraire, des citoyens me disent qu'ils se sentent perdus” regrette le président Serville.
Où est la majorité silencieuse?
Habituellement, les observateurs parlent d'un vote de spécialistes, de gens politisés, concernant les législatives. Le taux de participation était de 23,85% dans la première et 26,10% dans la seconde en 2017, respectivement 29 % et 32% en 2012, 39,77 % et 37,33% en 2007, 31,68% et 35,31% en 2002.

En 2017, la Guyane sortait des mouvements sociaux. La campagne avait été quasi inexistante. On pouvait comprendre la faible participation. Là les enjeux sont importants.

Le premier concerne les candidat-e-s (Mylène Mathieu, Yvane Goua, Philippe Bouba, Jean-Victor Castor), qui se sont opposé-e-s au gouvernement Macron en tant que représentant-e-s de la société civile dans le cadre des mouvements sociaux de 2017, de la crise sanitaire, etc.. La fameuse “majorité silencieuse” devrait envoyer un message par son vote... à moins qu'elle ne soit moins silencieuse que complètement désintéressée par la chose publique.

Au cours de la campagne, dans des quartiers populaires comme Cité Anatole ou Balata Ouest ou encore La Coulée-d'or, le nom d'Yvane Goua qui représente cette lutte contre la préfecture et donc le gouvernement circulait dans la bouche de gens qui ne votent peu ou jamais. Aura-t-elle réussi à les faire s'inscrire, à les faire voter lors d'un long week-end férié ?

Si l'abstention est battue cela devrait favoriser ces prétendants sinon, on devrait retrouver les représentants d'un monde politique plus classique.
L'extrême droite s'implante-elle en Guyane ?
Le vote en faveur de Marine Le Pen, au-delà des 60% de voix au second tour des présidentielles a marqué les esprits, d'autant plus que la quasi totalité des Outre-mer était dans ce cas. Elle était aussi arrivée deuxième en 2017 au premier tour à quelques voix de Jean-Luc Mélenchon.

Trois candidats se présentent sous l'étiquette de la droite souverainiste (Un pour Debout la France, deux pour le Rassemblement national) alors que le maximum connu chez nous était la présence de deux membres du front national en 1997.

Dans chaque scrutin local, cet idéologie subit une déconfiture comme Jérôme Harbourg et ses 19 co-listiers lors des municipales à Iracoubo en 2020. Seulement dix électeurs avaient glissé un bulletin en sa faveur. Les législatives mêlent le local avec le national. Le suspense reste donc entier. La question reste à savoir à partir de combien de voix, les observateurs pourront décréter l'émergence de l'extrême droite en Guyane ? Obtenir les 5% paraît être déjà une barre symbolique.

Si émergence il y a, les électeurs vont nous le dire dès ce soir.
La France insoumise transformera-t-elle l'essai ?
80% des votants de la première circonscription ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour des présidentielles. 50,9 % de voix recueillies en avril dans toute la Guyane. Avec un tel score, les représentants de LFI doivent partir avec un écrasant avantage.

Davy Rimane est soutenu par LFI mais localement, des groupes d'action dont celui de Saint-Laurent lui préfère Christophe Pierre.

Dans la première circonscription, même si aucun soutien ne lui a été donné par LFI, Philippe Bouba représente le renouveau du mouvement en Guyane, depuis sa reprise en main en 2020. Les succès électoraux se sont succédé. Beaucoup d'autres candidats se sont réclamés de l'Union populaire ou de la Nupes (Nouvelle union populaire écologiste et sociale). Celle-ci n'a pas été formée Outre-mer mais Mylène Mathieu, Aurore Sagne, Emmanuel Félissaint, Thibault Lechat-Vega, Line Létard, Wender Karam, Christophe Pierre n'ont pas rejeté l'idée de siéger dans les rangs de la Nupes. Treize candidat-e-s se déclarent DVG.

Alors que traditionnellement, les partis nationaux ne font jamais de gros score dans les scrutins locaux à l'exception du RPR avec Léon Bertrand, LFI a une chance de percer alors que les thèmes de campagne ont porté sur l'évolution statutaire et l'autonomie du territoire. Un dernier point qu'a adopté très récemment le parti mélenchoniste.
Petite précision : Pour aller au second tour, les 12,5 % ne sont pas obligatoire
"Sous réserve des dispositions de l'article L. 163 du code électoral, nul ne peut être candidat au deuxième tour s'il ne s'est pas présenté au premier tour et s'il n'a pas obtenu un nombre de suffrages au moins égal à 12,5 % du nombre des électeurs inscrits.

Dans le cas où un seul candidat remplit ces conditions, le candidat ayant obtenu après celui-ci le plus grand nombre de suffrages au premier tour peut se maintenir au second.

Dans le cas où aucun candidat ne remplit ces conditions, les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages au premier tour peuvent se maintenir au second."

Voilà le verbatim de la réponse de la préfecture à notre question alors que ce chiffre apapraît un peu partout sur les réseaux sociaux.
En 2017, Gabriel Serville avait compilé 6,70 % des inscrits et Joëlle Prévôt-Madère 6,66 % au premier tour. Au second tour, les deux avaient dépassé in extremis la barre des 12,5% des inscrits avec 14,06% pour le député et 13,34% pour la cheffe d'entreprise.
Dans la seconde circonscription, Lénaïck Adam avait recueilli 9,12% des inscrits et Davy Rimane, 5,08%.

Il y a 56 971 inscrit-e-s dans la première circonscription donc 12,5% équivaut à 7121 voix. Dans la seconde circonscription, 46 456 citoyen-ne-s ses ont inscrit-e-s, donc 12,5% des voix représentent 5807 voix.

Autant dire que malgré 27 candidat-e-s, nous ne devrions pas assister à des triangulaires en Guyane.

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