14,3% de Guyanais en stress alimentaire
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Santé

14,3% de Guyanais en stress alimentaire

Célia Basurko, Leslie Alcouffe, Nicolas Vignier et Maëlys Proquot du Centre d’investigation clinique, Unité Inserm. Karl Kpossou et Florence Huber de la Croix Rouge Française.
Quartier spontané à Cayenne
La faim touche toutes les origines géographiques de la Guyane mais évidemment la population immigrée est plus fragile quant à la sécurité alimentaire. Les chiffres d'un article publié en décembre 2022 dans Maux d'exil sont alarmants. • ARCHIVES

Depuis des études de 2019, on sait que la précarité alimentaire touche au moins 14,3% de la population de l'Île de Cayenne. La crise du Covid a aggravé cette situation d'après les auteurs d'un article publié dans la revue Maux d'exil de décembre 2022.

Avant la pandémie de CO-VID-19, la proportion de personnes en situation de pauvreté était élevée en Guyane : 53 % des personnes vivant sous le seuil de pauvreté de 1 020 euros mensuel (contre 14 % pour l’Hexagone). En tête, les personnes nées à l’étranger, celles sans emploi et les enfants.
La précarité alimentaire en Guyane n’est pas un sujet nouveau. Avant 2020, les professionnels de santé étaient déjà confrontés à des situations fréquentes de carences en micronutriments chez des patients admis à l’hôpital. En 2019-2020, une étude au Centre Hospitalier de Cayenne montrait que 81% des femmes présentaient au moins 1 carence en micronutriments (Iode, Fer, Zinc, vitamine B12 et A et/ou acide folique) au moment de leur accouchement.
Celles qui bénéficiaient de l’Aide Médicale d’État avaient un sur-risque de carences de 35 %.

En 2019, avait révélé que chez les personnes de la communauté d’agglomération de Cayenne interrogées, 14,3 % se disaient préoccupées quotidiennement par le fait de trouver à manger et aucun ménage de l’enquête n’avait accès à l’eau courante.

Une insécurité alimentaire alarmante dès le 1er confinement

Comme l’Hexagone, la Guyane a subi un confinement strict du 17 mars au 11 mai 2020. Fin juin 2020, des soignants sonnaient l’alarme sur le nombre de patients qui n’avaient plus la capacité de s’alimenter durant plusieurs jours d’affilée. Suite à cette alerte, un groupe de travail rassemblant des acteurs du secteur associatif et médico-social s’était organisé, et le mot « faim » avait été prononcé dans des médias nationaux pour la première fois.
Une première enquête, Flash 2020, avait été conduite en août 2020 auprès de bénéficiaires des équipes mobiles sanitaires menées par la PASS de l’hôpital de Cayenne, Médecins du Monde et la Croix-Rouge Française (CRF).
Ainsi, sur les 221 ménages interrogés, 49 % rapportaient un budget hebdomadaire pour se nourrir inférieur ou égal à 30 euros, (plus bas que celui avant le confinement). Un budget entrainant pour 2 ménages sur 5 une alimentation insuffisante et hypocalorique avec peu de fruits et de légumes.

Une insécurité alimentaire qui persiste en 2021

Au regard de ces résultats, une seconde enquête, InaCov 2021, ciblant la périphérie de Cayenne et l’Ouest Guyanais a été conduite en février 2021. Sur les 277 ménages enquêtés, l’indice House-
hold Hunger Scale (HHS) montrait une légère amélioration comparée à la première enquête tout en restant très élevé : 66 % des ménages de la région de Cayenne avaient souffert de la faim dans le
mois (80 % en 2020).

Vivre dans un logement bénéficiant de l’eau courante, bénéficier d’un soutien social et de l’accès à un jardin urbain étaient des facteurs protecteurs vis-à-vis de l’insécurité alimentaire.
InaCov 2021 révélait une diversité alimentaire insuffisante pour 64 % des enfants de moins de 24 mois. Sur 66 enfants mesurés, 5 souffraient d’émaciation. Contrairement à la région de Cayenne,
dans l’Ouest Guyanais, la consommation de fruits et légumes était plus importante, avec plus de recours aux cultures vivrières, à la cueillette et aux marchés.
Dans les Centres de Prévention de la Crf de Cayenne et de Saint-Laurent-du-Maroni, l’enquête transversale GuyaSSe-ReMIG conduite entre mai et août 2021, rapportait des résultats similaires.
Dans Flash 2020 64% des interrogés ont accès à l’eau potable grâce aux dispositifs d’urgence installés dans le cadre de la lutte contre la COVID-19.
Parmi les 429 femmes enquêtées, la faim sévère touchait des femmes de toutes les origines géographiques, y compris celles nées en France. Percevoir un salaire ou des prestations sociales et être en capacité de se faire prêter de l’argent par l’entourage étaient des facteurs fortement protecteurs vis-à-vis de l’insécurité alimentaire sévère.
Enfin, les données préliminaires du projet Parcours d’Haïti mené en 2021 et 2022 auprès de la communauté haïtienne en Guyane confirmaient la grande précarité alimentaire observée dans les autres études menées sur le même territoire et à la même époque.
Sur 911 personnes enquêtées, près 1/4 des personnes ayant souffert d’une faim sévère dans le mois se trouvaient en situation de détresse psychologique grave au moment de l’enquête.

Une précarité alimentaire qui touchait aussi les étudiants

Une enquête a été menée entre avril et juin 2022 auprès de 276 étudiants inscrits à l’Université de Guyane. Les réponses montrent qu’un étudiant sur 2 était en situation de précarité alimentaire ce qui pouvait impacter leur concentration et leur sommeil. Ici encore, l’alimentation déséquilibrée et l’impact sur la santé mentale se retrouvent. Les étudiants déclaraient un manque de ressources financières pour couvrir leurs besoins alimentaires avec, en plus, une dégradation de leur budget liée à la crise sanitaire.
Les étudiants en très faible sécurité alimentaire étaient moins nombreux à avoir été encouragés par leurs parents à faire des études universitaires et plus nombreux à ne pas pouvoir compter sur leur entourage en cas de difficultés.
Si les signaux sur l’insécurité alimentaire existaient en Guyane bien avant la crise sanitaire, celle-ci a révélé - et probablement aggravé - une situation déjà très dégradée.
Ces enquêtes montrent des résultats inquiétants qui ne peuvent pas être sans conséquence pour l’avenir et la santé physique et mentale des plus jeunes, des personnes vulnérables et des étudiants guyanais.

Au vu de la situation alarmante, les acteurs de la santé publique ne peuvent occulter le sujet de l’insécurité alimentaire en Guyane. La mise en place d’une stratégie coordonnée semble indispensable.

Comède 73