Édouard Montoute: « Il faut qu'un film me parle au cœur »
FIFAC

Édouard Montoute: « Il faut qu'un film me parle au cœur »

Propos recueillis par Samuel ZRALOS
Le 4e Festival international du Film documentaire Amazonie-Caraïbes (Fifac) se déroule jusqu'au 15 octobre à Saint-Laurent du Maroni. Cette année, le jury sera présidé par le réalisateur et comédien guyanais Edouard Montoute.
Le 4e Festival international du Film documentaire Amazonie-Caraïbes (Fifac) se déroule jusqu'au 15 octobre à Saint-Laurent du Maroni. Cette année, le jury sera présidé par le réalisateur et comédien guyanais Edouard Montoute. • SZ

Acteur vu dans de nombreux films comme la Haine ou la série des Taxis, Édouard Montoute est cette semaine à Saint-Laurent du Maroni, où il préside le jury du Fifac. Il s'est confié à France-Guyane sur cette mission et sur ses projets.

Vous êtes cette année président du jury du Festival international du film documentaire Amazonie-Caraïbes (Fifac), pourquoi endosser cette fonction ?

Pourquoi pas ? C'est un cadeau une invitation. Ensuite je suis Guyanais, ça me permet de venir ici, surtout qu'il faut bien le dire, le billet n'est pas donné. Ça permet aussi de se rapprocher des artistes guyanais et caribéens. D'avoir un regard sur ce pays guyanais qu'au final je connais peu.
Vous êtes surtout connu comme acteur de fiction, quel intérêt avez vous pour le documentaire ?

C'est un domaine que je ne connais pas du tout. Mais j'arrive à la cinquantaine et, à un certain âge, on essaie un peu de changer ce qu'on a fait. C'est un peu comme les footballeurs, tu commences à un certain moment à réfléchir à ta réorientation. Aujourd'hui, je me pose des questions : qu'est ce que c'est qu'un documentaire, comment ça se fait ? Les questions sont multiples. En plus être ici me permet de connaitre un peu la région. C'est une éducation, je récolte des informations, à tous les niveaux c'est riche.

D'ailleurs en ce moment j'ai un projet de film sur un camp de réfugiés, plutôt sur Paris. Je voudrais qu'il soit éducatif du peu de cas que les grandes sociétés font des réfugiés. Je ne savais pas comment traiter la chose et je me suis dit ici que le traiter sous la forme d'un documentaire ça serait pas mal. Ce sont des idées, un tas d'idées et ça m'enrichit.
"Le pathos ça fait chier tout le monde"
Avec les documentaires que vous voyez depuis votre arrivée, avez-vous l'impression qu'il y a une spécificité aux documentaires de la région Amazonie-Caraïbes ?

Comme je vous disais, je regarde très peu de documentaires. Mais une particularité que j'ai remarqué, c'est qu'ils traitent souvent de sujets un peu douloureux, de pages sombres de l'histoire. Ce que j'aime bien, c'est que malgré passé douloureux, les documentaires sont assez peu dans le pathos. Et ça c'est une bonne chose : le pathos ça fait chier tout le monde. Le but n'est pas d'attirer le regard sur leur douleur. Le but c'est de montrer une résilience, de témoigner d'un passé difficile, d'une page sombre, de montrer comment on s'en est sorti. De montrer qu'on est en train de tourner la page.

Estimez-vous qu'il s'agit de marchés en développement ?

Vous savez, le cinéma en France traverse une grosse crise. Y a quand même des gens qui pensent que c'est la fin du cinéma. J'ai eu l'occasion de participer à une table ronde avec Jacques Attali, qui défend un cinéma positif dans l'intérêt des générations à venir. Lui disait que dans l'immédiat c'est l'art vivant qui va perdurer, alors que le cinéma, avec la multiplication des plateformes, il y a une vraie menace sur les salles sombres. Ou alors faut parler à Netflix ! Je n'ai pas de solution, mais il va falloir s'intéresser à la question. En même temps, ici les partenaires sont là, il y a a une demande, il y a une force de vie. De toute façon, on fait des films, mais à un moment il faut qu'il y ait du public.
Ça représente quoi un festival de cinéma à Saint-Laurent, dans l'ouest guyanais, où il n'y a pas de cinéma ouvert ?

En même temps, si Saint-Laurent du Maroni s'est passée de cinéma jusqu'à maintenant, est-ce que c'est un problème ? Si dans la ville il n'y a pas de cinéma et que les jeunes lisent plus de livres, c'est pas plus mal. Le cinéma, on est pas obligé d'y aller. Et puis quand il y a un cinéma, faut encore savoir ce qu'on y passe. Si c'est comme dans les gros complexes en France avec trois salles pour passer les derniers blockbusters... Quand le cinéma local rouvrira, obligez les programmateurs à mettre des films caribéens ! Au cinéma, on a envie de se voir.
"Le cinéma c'est un miroir"
Justement, c'est important la représentation dans les films, que les personnages ressemblent au public ?

Il y a plusieurs façons de répondre à cette question. Imaginez que vous regardez dans le miroir le matin et c'est la tronche d'un autre que vous voyez. Le cinéma c'est un miroir. Or, depuis des temps immémoriaux, ce qu'on appelle les minorités on ne se voit pas. Donc qu'on se voie plus c'est pas un tort. Mais, attention, il y a une autre question : est-ce qu'il y a vraiment un public qui va voir des films guyanais, caribéens ? Il faut se le demander.
En tant que jury, que recherchez-vous dans les œuvres en sélection ? Comment effectuer un choix ?

Il faut que le film me parle un peu au coeur. Il faut que j'y croie. Si la sauce ne prend pas, elle ne prend pas ! Ensuite, avec le jury on va analyser pourquoi ça n'a pas pris. Y a des films pourtant super légers. Ça dépend du traitement, parfois l'image est très belle, très léchée mais je n'accroche pas. C'est égoïste en vrai, je me découvre un goût en matière de documentaires. Mais il n'y a pas de grille, de barème. Encore une fois je viens de la fiction, y a des films que je ne comprends pas et je ne sais même pas pourquoi. Après avec le jury on en discute et je comprends ce qui bloque.

Par contre j'essaie de ne pas être trop négatif, j'ai passé la cinquantaine, je manque de temps pour ça. Donc là j'essaie de ne pas voir que le négatif. J'essaie aussi que ça ne parte pas en longs débats dans le jury. On a pas mal d’œuvres à regarder et pas énormément de temps, donc à un moment il faut avancer.
La jeunesse est très importante en Guyane, doit-on faire de l'éducation au cinéma, documentaire ou non ?

L'éducation c'est la fréquence de visionnage. Vous voulez que ça soit intéressant ? Allez goûter, intéressez vous y. Au bout d'un moment, même si ça prend du temps, on se fait son goût. Que ce soit aller au restaurant ou voir un film, plus on en bouffe, plus à un moment on avance. Il n'y a pas besoin de suivre des cours, après tout les films sont censés être projetés à un public lambda. Moi je suis professionnel, donc comme c'est mon métier j'ai appris à aimer Shakespeare. Mais tout le monde n'en a pas besoin. Ça m'arrive d'aller au musée, je vais pas pour autant suivre une formation en histoire de l'art ! Il faut être curieux.
"On va essayer de ne parler ni d'orpaillage ni du bagne"

Vous avez réalisé un court-métrage, diffusé au Fifac 2019, c'était une envie comme ça ou vous avez envie de continuer sur cette voie ? En Guyane peut-être ?

C'était une envie comme ça, c'est devenu un intérêt. J'ai pour projet de recommencer, mais ça prend beaucoup de temps. Avec ma productrice, celle du court métrage, on est justement en train d'écrire une comédie d'aventures qui se passerait en Guyane. Ce qui me permet de traiter aussi de la région Guyane. On va essayer de ne parler ni d'orpaillage ni du bagne, de sortir des images habituelles. On va bientôt aller sur le fleuve pour se renseigner, puisque le projet devrait aussi parler de la condition amérindienne.
Vous avez d'autres projets en cours ou à venir ?

Je suis en cours d'écriture d'un autre long métrage mais c'est très poussif. J'écris tout seul sur celui-ci et j'ai du mal, je mets du temps, je me rends compte que je ne suis vraiment pas scénariste. J'ai aussi un projet au théâtre, une pièce africaine que j'adorerais jouer, à force je ne sais pas si je ne vais pas devoir la mettre en scène moi même. Je profite d'ailleurs de mon passage ici pour lancer des projets.

Par ailleurs, depuis quelques temps j'anime des stages. Je veux le faire dans les régions, parce qu'il y a toujours un petit fossé entre les comédiens de métropole, qui ont plus l'habitude des caméras et ceux d'ici qui font plus en général plus de théâtre, sont parfois sous pression et aussi à qui on ne donne pas forcément les bons textes. Bref, plein de projets dans le cinéma, le théâtre et la transmission. Si j'arrive à faire tout ça j'aurai réussi ma vie.
Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Ça fait un peu prêcheur, mais il faut dire aux gens d'écrire, parfois d'éviter d'allumer la télé. C'est plus un message que j'envoie à la jeunesse. Avec le covid-19 beaucoup de jeunes sont un peu traumatisés. J'espère qu'ils vont se trouver, trouver leur voie. J'ai trouvé la mienne, parfois j'ai du mal à en vivre économiquement et même spirituellement, mais c'est important.
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